Les animaux malades des croquettes
Publié : 19/5/2015 15:46
http://www.thierrysouccar.com/blog/les- ... croquettes
Maladies rénales, athérosclérose, diabète, cancers : les animaux de compagnie sont frappés des mêmes maladies chroniques que leurs maîtres. Et là encore, les soupçons pèsent sur la nourriture industrielle.
En 1860, un américain de l’Ohio nommé James Spratt a créé en Grande-Bretagne le premier aliment industriel pour chien, un biscuit à base de viande, de légumes et de blé. Dans les décennies qui ont suivi, plusieurs sociétés ont prospéré sur ce marché nouveau, proposant des biscuits ou des aliments en conserve. Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec la pénurie de métaux dans tous les pays qui participaient au conflit, les conserves ont fait place aux croquettes sèches.
Aujourd’hui, les Français font chaque année avaler à près de 20 millions de chiens et chats (et des centaines de milliers d’autres animaux domestiques), deux millions de tonnes de nourriture industrielle.
Dans un livre récemment traduit, Toxic croquettes, la vétérinaire allemande Jutta Ziegler fait le lien entre cette alimentation (et d’autres pratiques douteuses comme les vaccinations systématiques, la prescription d’antiparasitaires, d’insecticides et d’antibiotiques), et l’augmentation des maladies chroniques chez les animaux de compagnie : diabète, maladies rénales, maladies cardiovasculaires, cancers. Exactement comme chez l’homme.
Chez le chat, par exemple, selon les sources, la prévalence des maladies rénales chroniques est passée de 0,6-0,8% à 1,2-1,6% entre 1980 et 1990 ; cela signifie que le nombre d’animaux malades, ajustés pour l’âge, a doublé en 10 ans. Et les données récentes brossent un tableau encore plus sombre, avec 7 à 10% des animaux souffrant d’une forme d’insuffisance rénale selon deux rapports vétérinaires américains. Près d’un chat sur trois âgé de 15 ans et plus est malade. La maladie toucherait 6% de la population canine et 15% des chiens âgés de 10 ans et plus.
Dans son livre, à travers une série de cas, Jutta Ziegler rend compte de cette réalité dérangeante, et ouvre des pistes pour tenter de comprendre pourquoi chiens et chats souffrent de cancers et d’autres troubles chroniques. Son regard se porte forcément sur les aliments que nous leur donnons.
Des milliers d’études depuis des décennies sont là pour témoigner que l’alimentation joue un rôle important dans les maladies chroniques humaines. Il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement chez l’animal. Même si les facteurs de risque sont multiples, qui vont de l’excès de phosphore à celui d’amidon dans les aliments industriels pour animaux, en passant par des teneurs insuffisantes en potassium (épinglées dans un dossier de Que Choisir d’avril 2014), c’est sur les traitements thermiques que pèsent les soupçons les plus forts.
Le livre de Jutta Ziegler n’est pas un traité de biochimie alimentaire, il n’entrait pas dans ses objectifs d’expliquer comment les procédés industriels utilisés pour fabriquer croquettes et pâtés ont pu, en dénaturant les aliments, faire le lit des maladies chroniques dont souffrent les animaux. Il m’a donc semblé important pour tous les propriétaires d’animaux, et pour les vétérinaires qui les soignent, d’esquisser une tentative d’explication.
La piste des AGE
Le site LaNutrition.fr a été le premier à vulgariser et populariser, dès 2006, les travaux de la chercheuse américaine Helen Vlassara (Hôpital Mont Sinaï, New York) et de son équipe sur les produits de glycation avancés, qu’on appelle AGE (en anglais, advanced glycation endproducts).
Pour schématiser, les AGE sont des composés qui se forment lorsque des sucres réagissent avec des portions de protéines et de graisses. Cette réaction est bien connue des boulangers sous le nom de réaction de Maillard : c’est elle qui est à l’origine du brunissement de la croûte du pain. Le métabolisme produit naturellement des AGE, mais l’alimentation ajoute sa propre charge. Les gros pourvoyeurs d’AGE sont les aliments d’origine animale, surtout lorsqu’ils sont chauffés. Par exemple, le bacon frit détient en l’espèce une sorte de record.
Au cours de la réaction de Maillard, un sucre réducteur (glucose, fructose, galactose, maltose, lactose…) réagit avec un acide aminé (constituant des protéines). L’acide aminé le plus susceptible de réagir avec ces sucres réducteurs pour donner naissance, dans une série de réactions à ces AGE, c’est la lysine. Retenez son nom, car c’est une notion importante pour la suite.
On trouve des AGE dans les aliments industriels pour animaux parce que leur fabrication fait appel à des protéines animales soumises à des températures élevées en présence de quantités excessives de sucres (glucides) sous la forme d’amidon. Les opérations d’équarrissage, qui concernent les déchets animaux se déroulent à des températures proches de 130°C. Pour fabriquer les aliments secs comme les croquettes, ces déchets enrichis de glucides sont extrudés à des températures comprises entre 80 et 200°C, avant de passer dans des sécheuses (80-100°C) pour éliminer l’humidité, puis d’être à nouveau chauffés à 120-150°C, puis à 100°C.
Ces aliments sont composés d’amidon provenant de céréales ou de soja, dans des proportions qui n’ont rien à voir avec les besoins des animaux. On trouve en effet en moyenne 40% d’amidon (glucides) dans ces nourritures industrielles pour chiens et chats, avec des pointes jusqu’à 60% selon les produits. Or livré à lui-même, un chat va consommer spontanément un régime alimentaire avec 52% de protéines animales, 36% de graisses et seulement 12% de glucides. Pour le chien, c’est encore plus radical : 30% de protéines, 63% de graisses et… 7% de glucides.
Comment estimer la teneur en AGE des croquettes
Je n’ai pas trouvé d’études ayant directement mesuré la teneur en AGE des aliments pour animaux, mais il existe un moyen indirect de l’apprécier : c’est la différence dans le produit fini, entre la lysine totale (voir plus haut) et la lysine « vierge » (non altérée par la réaction de Mailard). Cette différence donne une idée approximative, mais fiable, de la quantité de lysine ayant réagi avec les sucres réducteurs, donc de la teneur relative de l’aliment en AGE.
La différence entre lysine totale et lysine « vierge » a fait l’objet de nombreuses mesures par les fabricants d’aliments pour animaux. Pourquoi les fabricants de croquettes font-ils ces mesures ? Pas pour estimer leur teneur en AGE et leurs conséquences sur la santé des animaux, mais parce qu’ils sont tenus de respecter un cahier des charges qui prévoit un minimum de lysine disponible pour la croissance de l’animal. Or plus la différence entre lysine totale et lysine vierge est importante, moins il y a de lysine réellement disponible pour les besoins protéiques de votre animal. Vous me suivez ? Mais ici, nous allons utiliser cette différence comme marqueur de la teneur des aliments industriels en AGE.
La différence lysine totale-lysine vierge dans les croquettes peut être considérable puisqu’elle atteint jusqu’à 62%. Généralement, on trouve des valeurs plus élevées dans les aliments pour chats que ceux pour chiens. Une étude a rapporté une différence moyenne de 48,6% dans des aliments en boîte pour chats, et de 41,2% dans des croquettes sèches, toujours pour les chats. Dans les aliments pour chiens, elle serait plutôt de l’ordre de 15 à 20% en moyenne.
La conclusion, c’est que tous les aliments industriels pour animaux contiennent à des degrés divers, des quantités potentiellement toxiques d’AGE. La plupart des animaux de compagnie ingèrent toute leur vie cette nourriture industrielle et les AGE qui vont avec. Et on sait parfaitement ce qui se passe dans un organisme confronté chroniquement à ces composés. Les souris qui reçoivent un tel régime riche en AGE développent de l’athérosclérose et des maladies rénales. Les reins sont en effet particulièrement sollicités pour éliminer et détoxifier les AGE d’origine alimentaire. Il est donc vraisemblable que la santé des chiens et des chats est affectée par les procédés de fabrication des aliments industriels.
La bonne nouvelle c’est que, toujours chez la souris, un régime pauvre en AGE se traduit par une augmentation de l’espérance de vie, qui est du même ordre que celle obtenue par la restriction calorique. Chez l’homme, des études à court terme ont montré qu’un régime pauvre en AGE alimentaires diminue les marqueurs de l’inflammation et du stress oxydant.
Comment donner à son chien ou son chat une alimentation pauvre en AGE ? Il faut éviter de lui servir des aliments industriels, surtout si sa santé n’est pas bonne. Donc, retour aux fourneaux. Rappelez-vous que la chaleur excessive est une ennemie : si vous devez faire cuire sa nourriture, utilisez des températures modérées ou mieux, la vapeur. Les marinades préalables (citron, vinaigre) réduisent expérimentalement la formation d’AGE dans la viande ou le poisson. Ces conseils valent bien sûr pour vous aussi !
Maladies rénales, athérosclérose, diabète, cancers : les animaux de compagnie sont frappés des mêmes maladies chroniques que leurs maîtres. Et là encore, les soupçons pèsent sur la nourriture industrielle.
En 1860, un américain de l’Ohio nommé James Spratt a créé en Grande-Bretagne le premier aliment industriel pour chien, un biscuit à base de viande, de légumes et de blé. Dans les décennies qui ont suivi, plusieurs sociétés ont prospéré sur ce marché nouveau, proposant des biscuits ou des aliments en conserve. Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec la pénurie de métaux dans tous les pays qui participaient au conflit, les conserves ont fait place aux croquettes sèches.
Aujourd’hui, les Français font chaque année avaler à près de 20 millions de chiens et chats (et des centaines de milliers d’autres animaux domestiques), deux millions de tonnes de nourriture industrielle.
Dans un livre récemment traduit, Toxic croquettes, la vétérinaire allemande Jutta Ziegler fait le lien entre cette alimentation (et d’autres pratiques douteuses comme les vaccinations systématiques, la prescription d’antiparasitaires, d’insecticides et d’antibiotiques), et l’augmentation des maladies chroniques chez les animaux de compagnie : diabète, maladies rénales, maladies cardiovasculaires, cancers. Exactement comme chez l’homme.
Chez le chat, par exemple, selon les sources, la prévalence des maladies rénales chroniques est passée de 0,6-0,8% à 1,2-1,6% entre 1980 et 1990 ; cela signifie que le nombre d’animaux malades, ajustés pour l’âge, a doublé en 10 ans. Et les données récentes brossent un tableau encore plus sombre, avec 7 à 10% des animaux souffrant d’une forme d’insuffisance rénale selon deux rapports vétérinaires américains. Près d’un chat sur trois âgé de 15 ans et plus est malade. La maladie toucherait 6% de la population canine et 15% des chiens âgés de 10 ans et plus.
Dans son livre, à travers une série de cas, Jutta Ziegler rend compte de cette réalité dérangeante, et ouvre des pistes pour tenter de comprendre pourquoi chiens et chats souffrent de cancers et d’autres troubles chroniques. Son regard se porte forcément sur les aliments que nous leur donnons.
Des milliers d’études depuis des décennies sont là pour témoigner que l’alimentation joue un rôle important dans les maladies chroniques humaines. Il n’y a pas de raison qu’il en aille autrement chez l’animal. Même si les facteurs de risque sont multiples, qui vont de l’excès de phosphore à celui d’amidon dans les aliments industriels pour animaux, en passant par des teneurs insuffisantes en potassium (épinglées dans un dossier de Que Choisir d’avril 2014), c’est sur les traitements thermiques que pèsent les soupçons les plus forts.
Le livre de Jutta Ziegler n’est pas un traité de biochimie alimentaire, il n’entrait pas dans ses objectifs d’expliquer comment les procédés industriels utilisés pour fabriquer croquettes et pâtés ont pu, en dénaturant les aliments, faire le lit des maladies chroniques dont souffrent les animaux. Il m’a donc semblé important pour tous les propriétaires d’animaux, et pour les vétérinaires qui les soignent, d’esquisser une tentative d’explication.
La piste des AGE
Le site LaNutrition.fr a été le premier à vulgariser et populariser, dès 2006, les travaux de la chercheuse américaine Helen Vlassara (Hôpital Mont Sinaï, New York) et de son équipe sur les produits de glycation avancés, qu’on appelle AGE (en anglais, advanced glycation endproducts).
Pour schématiser, les AGE sont des composés qui se forment lorsque des sucres réagissent avec des portions de protéines et de graisses. Cette réaction est bien connue des boulangers sous le nom de réaction de Maillard : c’est elle qui est à l’origine du brunissement de la croûte du pain. Le métabolisme produit naturellement des AGE, mais l’alimentation ajoute sa propre charge. Les gros pourvoyeurs d’AGE sont les aliments d’origine animale, surtout lorsqu’ils sont chauffés. Par exemple, le bacon frit détient en l’espèce une sorte de record.
Au cours de la réaction de Maillard, un sucre réducteur (glucose, fructose, galactose, maltose, lactose…) réagit avec un acide aminé (constituant des protéines). L’acide aminé le plus susceptible de réagir avec ces sucres réducteurs pour donner naissance, dans une série de réactions à ces AGE, c’est la lysine. Retenez son nom, car c’est une notion importante pour la suite.
On trouve des AGE dans les aliments industriels pour animaux parce que leur fabrication fait appel à des protéines animales soumises à des températures élevées en présence de quantités excessives de sucres (glucides) sous la forme d’amidon. Les opérations d’équarrissage, qui concernent les déchets animaux se déroulent à des températures proches de 130°C. Pour fabriquer les aliments secs comme les croquettes, ces déchets enrichis de glucides sont extrudés à des températures comprises entre 80 et 200°C, avant de passer dans des sécheuses (80-100°C) pour éliminer l’humidité, puis d’être à nouveau chauffés à 120-150°C, puis à 100°C.
Ces aliments sont composés d’amidon provenant de céréales ou de soja, dans des proportions qui n’ont rien à voir avec les besoins des animaux. On trouve en effet en moyenne 40% d’amidon (glucides) dans ces nourritures industrielles pour chiens et chats, avec des pointes jusqu’à 60% selon les produits. Or livré à lui-même, un chat va consommer spontanément un régime alimentaire avec 52% de protéines animales, 36% de graisses et seulement 12% de glucides. Pour le chien, c’est encore plus radical : 30% de protéines, 63% de graisses et… 7% de glucides.
Comment estimer la teneur en AGE des croquettes
Je n’ai pas trouvé d’études ayant directement mesuré la teneur en AGE des aliments pour animaux, mais il existe un moyen indirect de l’apprécier : c’est la différence dans le produit fini, entre la lysine totale (voir plus haut) et la lysine « vierge » (non altérée par la réaction de Mailard). Cette différence donne une idée approximative, mais fiable, de la quantité de lysine ayant réagi avec les sucres réducteurs, donc de la teneur relative de l’aliment en AGE.
La différence entre lysine totale et lysine « vierge » a fait l’objet de nombreuses mesures par les fabricants d’aliments pour animaux. Pourquoi les fabricants de croquettes font-ils ces mesures ? Pas pour estimer leur teneur en AGE et leurs conséquences sur la santé des animaux, mais parce qu’ils sont tenus de respecter un cahier des charges qui prévoit un minimum de lysine disponible pour la croissance de l’animal. Or plus la différence entre lysine totale et lysine vierge est importante, moins il y a de lysine réellement disponible pour les besoins protéiques de votre animal. Vous me suivez ? Mais ici, nous allons utiliser cette différence comme marqueur de la teneur des aliments industriels en AGE.
La différence lysine totale-lysine vierge dans les croquettes peut être considérable puisqu’elle atteint jusqu’à 62%. Généralement, on trouve des valeurs plus élevées dans les aliments pour chats que ceux pour chiens. Une étude a rapporté une différence moyenne de 48,6% dans des aliments en boîte pour chats, et de 41,2% dans des croquettes sèches, toujours pour les chats. Dans les aliments pour chiens, elle serait plutôt de l’ordre de 15 à 20% en moyenne.
La conclusion, c’est que tous les aliments industriels pour animaux contiennent à des degrés divers, des quantités potentiellement toxiques d’AGE. La plupart des animaux de compagnie ingèrent toute leur vie cette nourriture industrielle et les AGE qui vont avec. Et on sait parfaitement ce qui se passe dans un organisme confronté chroniquement à ces composés. Les souris qui reçoivent un tel régime riche en AGE développent de l’athérosclérose et des maladies rénales. Les reins sont en effet particulièrement sollicités pour éliminer et détoxifier les AGE d’origine alimentaire. Il est donc vraisemblable que la santé des chiens et des chats est affectée par les procédés de fabrication des aliments industriels.
La bonne nouvelle c’est que, toujours chez la souris, un régime pauvre en AGE se traduit par une augmentation de l’espérance de vie, qui est du même ordre que celle obtenue par la restriction calorique. Chez l’homme, des études à court terme ont montré qu’un régime pauvre en AGE alimentaires diminue les marqueurs de l’inflammation et du stress oxydant.
Comment donner à son chien ou son chat une alimentation pauvre en AGE ? Il faut éviter de lui servir des aliments industriels, surtout si sa santé n’est pas bonne. Donc, retour aux fourneaux. Rappelez-vous que la chaleur excessive est une ennemie : si vous devez faire cuire sa nourriture, utilisez des températures modérées ou mieux, la vapeur. Les marinades préalables (citron, vinaigre) réduisent expérimentalement la formation d’AGE dans la viande ou le poisson. Ces conseils valent bien sûr pour vous aussi !